Affirmer fermement son refus : Un échange avec Natalie Lue sur la notion de relations saines 

Affirmer fermement son refus : Un échange avec Natalie Lue sur la notion de relations saines 

Faites-vous partie de ceux qui disent souvent "oui" à tout, par souci de faire plaisir aux autres et de ne pas les décevoir ? Avez-vous déjà réfléchi aux conséquences à long terme de cette pratique ? Selon une étude du Chartered Institute of Personnel and Development (CIPD), 69% des employés estiment qu'ils doivent répondre favorablement aux demandes professionnelles, même lorsqu'ils sont déjà surchargés. Cette attitude peut entraîner un “burn out”, une baisse de productivité et une augmentation du niveau de stress. Comment pouvons-nous redéfinir nos limites et commencer à dire "non" sans culpabilité ? Ce sont des questions auxquelles Natalie Lue, experte en relations humaines et comportement, consacre son travail.

L’approche directe mais empathique de Natalie Lue lui a permis de bâtir une communauté dans plus de 140 pays. Elle a notamment été citée dans The New York Times, The Washington Post, NPR et la BBC. En tant qu'écrivaine, auteure et artiste, ses livres auto-édités ont conquis plus de 150 000 lecteurs, et son podcast, "Baggage Reclaim", a cumulé plus de 3 millions de téléchargements.

Dans cette interview, Natalie partage son expertise sur la complaisance, l'empathie et le renforcement de la résilience et de l'assertivité chez les jeunes. Son travail ouvre la voie à des relations saines et à l'autonomisation personnelle.

 

1) Quelle est votre définition de la "complaisance" et pourquoi pensez-vous que ce comportement est si répandu dans la société d'aujourd'hui ?

La complaisance se définit essentiellement par le fait de mettre les besoins, désirs, attentes, sentiments et opinions des autres avant les siens, dans le but d'attirer l'attention, l'affection, l'approbation, l'amour et la validation, et aussi pour éviter les conflits, les critiques, le stress, la déception, voire le rejet ou l'abandon. Cette tendance est souvent ancrée dans notre enfance en réponse à des blessures passées et à des signaux de ce que nous percevions comme bon ou mauvais.

Nous avons appris dès notre plus jeune âge ce qu'il fallait faire pour être utiles et être considérés comme bons au sein de notre cellule familiale, et ces comportements sont devenus nos modèles de comportement. La complaisance devient ainsi une habitude d'anxiété et un mécanisme pour gérer cette anxiété, même si cela finit par créer encore plus d'anxiété.

Cependant, ce comportement, parfois qualifié de "maladie de plaire", s'est répandu comme une épidémie dans notre société, comme je le souligne dans mon livre "La joie de dire non".

Nous avons tous été élevés dans ce que j'appelle "l'ère de l'obéissance". Il s'agit de la période des derniers siècles, marquée par la colonisation, l'impérialisme et la révolution industrielle, où discipliner, interagir et communiquer avec les enfants visait à les rendre excessivement obéissants, en particulier vis-à-vis des autorités. Le dicton "les enfants doivent être vus et pas entendus" en est un exemple frappant.

La conformité est devenue cruciale lorsque les gens étaient déplacés contre leur gré d'une partie du monde à une autre, ou lorsqu'ils étaient nécessaires dans les usines et les champs pour répondre aux besoins d'une société devenue consommatrice de biens plutôt que productrice. Les écoles ont été conçues pour produire des individus obéissants prêts à entrer sur le marché du travail et à y travailler conformément aux attentes. La religion a également joué un rôle important dans l'application de cette conformité.

Aujourd'hui, nous faisons face à une crise de la santé mentale, de la solitude, avec des taux élevés de suicide et d'automutilation. Beaucoup luttent avec des problèmes de limites et de dynamiques familiales, les révélations d'abus étant malheureusement trop courantes. Tout cela est en partie l'héritage de l'ère de l'obéissance, où l'accent était mis sur l'obéissance plutôt que sur l'autonomisation individuelle. En apprenant aux gens à être excessivement obéissants, on leur apprend aussi à ne pas écouter leur propre voix intérieure.

 

2) Vous vous décrivez comme en guérison de l'addiction à plaire aux autres. Pourriez-vous partager avec nous votre propre parcours personnel ?

Ayant grandi en tant que jeune fille noire dans une famille jamaïcaine-chinoise d'un côté et une famille jamaïcaine avec des origines juives de l'autre, j'ai très tôt compris que je devais travailler 100 fois plus dur pour atteindre les mêmes objectifs que n'importe qui d'autre, et qu'être moyenne n'était tout simplement pas acceptable. Tous ces facteurs, combinés à la séparation de mes parents, aux difficultés à la maison, aux déménagements fréquents et au sentiment de ne pas m'intégrer ou de ne pas appartenir, ont alimenté un schéma de comportement de "people-pleasing", c’est-à-dire faire plaisir aux autres. Il m'a fallu tomber gravement malade pour me forcer à affronter les traumatismes de mon enfance et certains de mes traumatismes d'adulte également. J'ai réalisé que je ne pouvais pas guérir de cette maladie sans affronter mes problèmes et changer mes habitudes de vouloir plaire à tout le monde ; ce n'était tout simplement plus possible.

La première page de ce nouveau chapitre a débuté pour moi en août 2005. En l'espace de huit mois, en revisitant ma relation avec moi-même, en apprenant à m'affirmer et à poser des limites dans mes relations, j'ai guéri de la sarcoïdose, la maladie du système immunitaire dont je souffrais. J'ai donc depuis laissé derrière moi mes habitudes de 'people-pleaser’. 

 

3) En quoi le fait de fixer des limites joue-t-il un rôle crucial pour se libérer du "people-pleasing" ?

Le "people-pleasing" signifie essentiellement éviter d'être soi-même.

Vous avez peur que si vous dites "non", vous fassiez face à des conséquences négatives. Par conséquent, vous dites "oui" non pas par désir sincère, mais par peur des répercussions.
En agissant ainsi, on sacrifie nos propres besoins, désirs, attentes, sentiments et opinions pour éviter les confrontations. Chaque fois que nous disons "oui" à une chose, nous faisons implicitement le choix de ne pas faire autre chose. C'est une notion importante à garder à l'esprit lorsqu'on prend des décisions. Choisir une option signifie souvent renoncer à une autre.

Nos limites définissent ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas pour nous ; elles sont une expression de nous-mêmes. Des limites plus saines nous permettent d'incarner pleinement qui nous sommes. Lorsque nous apprenons à établir des limites plus saines, nous disons efficacement : "Je vais être plus honnête dans mes oui et mes non. Je vais être plus honnête sur qui je suis." Nous accordons la priorité à nous-même et apprenons à faire la distinction entre nos besoins et ceux des autres.

Ainsi, plus nos limites sont saines, moins nous sommes enclins au "people-pleasing". En fixant des limites claires, nous honorons nos propres besoins et nous nous libérons de la pression de toujours plaire aux autres. Cela nous permet d'établir des relations plus authentiques et équilibrées, basées sur le respect mutuel et la compréhension de nos propres limites.

 

4) Quelles autres techniques suggérez-vous aux personnes qui souhaitent arrêter cette tendance ?

Apprenez à assumer vos choix, vos paroles et vos décisions. Faites preuve de discernement. Vous finirez par sentir que vous pouvez compter sur vous-même. Vous aurez l'impression d'avoir votre propre soutien. Et lorsque vous avez l'impression de pouvoir compter sur vous-même, vous avez davantage confiance en vous. Cette confiance accrue vous fait sentir comme une personne précieuse et de valeur.

Je pense également qu'il est important d'être plus conscient de votre voix critique intérieure et de savoir différencier cette voix de l'intuition authentique. Cela peut vraiment aider à renforcer la confiance en soi. Bien que le critique intérieur existe en chacun de nous, il ne définit pas notre identité.

 

5) L'empathie est au cœur de notre jeu "Can You". Quel rôle joue-t-elle dans le processus de dire "non", et comment la compréhension des perspectives des autres peut-elle nous aider à gérer le "non" avec plus de compassion ?

L'empathie et le fait de dire "non" sont étroitement liés. Les personnes qui cherchent à plaire voient souvent en elles-mêmes des individus très empathiques, se qualifiant même d'empathes. Cependant, en tant que personnes qui cherchent à plaire, nous avons tendance à trop ressentir et à être trop empathique, projetant nos propres peurs et émotions sur les autres. L'empathie véritable est la capacité de reconnaître la perspective et les expériences d'une autre personne, même si elles diffèrent des nôtres.

Au lieu de comprendre vraiment la position de l'autre, nous nous impliquons parfois trop, permettant à leur histoire de nous submerger et de dicter notre comportement. Ce n'est pas de l'empathie ; c'est de la sur-empathie. La vraie empathie consiste à reconnaître la nécessité de respecter les limites et l'individualité. Plutôt que de nous centrer sur nous-mêmes, nous reconnaissons que chaque personne a ses propres caractéristiques, circonstances et histoire influençant ses actions.

La compassion est essentielle ici car elle nous permet de comprendre les difficultés que d'autres peuvent rencontrer pour accepter nos limites. Nous reconnaissons leurs luttes tout en affirmant toujours notre besoin de dire non lorsque c'est nécessaire. Reconnaître que les limites nourrissent les relations, favorisant l'honnêteté et l'intimité, démontre une véritable empathie. Il s'agit de comprendre le bénéfice mutuel de la vérité dans une relation, facilitant la croissance et la compréhension pour les deux parties.

 

6) Comment les parents peuvent-ils trouver un équilibre entre apprendre aux enfants à être attentifs aux sentiments des autres tout en les encourageant à affirmer leurs propres limites et besoins ?

Nous pouvons tous nous rappeler des expériences de notre enfance où l'on nous disait que nous étions égoïstes ou difficiles si nous ne voulions pas partager nos jouets, faire un câlin ou jouer avec les autres. Ce que j'ai trouvé utile avec mes filles, c'est de maintenir un dialogue continu avec nos enfants. Tout d'abord, nous les aidons à comprendre leurs propres sentiments, puis nous explorons ce que l'autre enfant pourrait ressentir. Il est important de souligner qu'ils n'ont pas à sacrifier leurs propres sentiments pour ceux de quelqu'un d'autre. Leur enseigner qu'être attentif aux sentiments d'un autre enfant ne doit pas se faire au détriment de ne pas considérer les leurs.

En les encourageant à reconnaître et à respecter les deux, ils développent de l'empathie et acquièrent une vision plus honnête du monde. Cette approche leur permet de reconnaître et de gérer des situations où d'autres pourraient se sentir mal à l'aise. Poser des questions telles que : "As-tu déjà été dans une situation similaire ?" "Comment t'es-tu senti à ce moment-là ?" "Comment as-tu surmonté cela ?" ou "Comment t'es-tu senti après ?" Cette méthode les aide à prendre conscience des émotions des autres afin qu'ils puissent gérer des situations similaires avec autonomie. 

Liens : 

Natalie Lue www.natalielue.com

The Joy of Saying No www.natalielue.com/the-joy-of-saying-no-by-natalie-lue/